LA FINANCIARISATION DE LA DATA VS LA « DATATISATION » DES SERVICES BANCAIRES.
- Franck Kouassi
- 8 sept. 2021
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 sept. 2021
Par Franck KOUASSI,
Consultant en Stratégie
Le monde entier s’émerveille depuis quelques décennies, devant le caractère à la
fois fascinant et tout aussi inquiétant, avec lequel se développent les services de télécommunication ainsi que la digitalisation des services financiers. La convergencefulgurante qui s’opère entre les différents secteurs desquels relèvent ces services,semble bien encore à ses débuts malgré l’innovation majeure de Safaricom en 2007 qui a été le premier opérateur mobile à proposer une offre de « mobile money »baptisée « M-Pesa » avec l’appui de banques locales au Kenya.
Aujourd’hui en 2021, les Opérateurs Télécoms Mobiles (OTMs) sur le continent (MTN, Orange, Airtel, Vodacom, Safaricom, et Moov) se sont laissé séduire par le formidable potentiel de croissance que regorgent les services de « mobile money » ainsi que les revenus confortables qu’ils occupent désormais dans la structure de leur chiffre d’affaire. Ils ont pratiquement tous emboité le pas aux banques, en créant leur propre réseau de distribution de solutions de « mobile money » soit à travers la promotion de kiosques dédiés (MTN, Airtel, etc.) ou soit, par le développement de réseau d’accepteurs de leur monnaie électronique.
Le magazine « Jeune Afrique » soulignait dans sa parution du 03 Avril 2020 qu’ « avec 50 millions de nouveaux comptes créés sur le continent en 2019 et une croissance des inscriptions de 12%, l’Afrique est de loin le premier continent en matière de mobile money avec 469 millions d’utilisateurs dont 181 millions de comptes sont actifs ». Pour l’Association Mondiale des Opérateurs de Téléphonie (GSMA), avec 64,15% du volume des transactions mondiales, en croissance de 19,7%, l’Afrique subsaharienne demeure la région du monde où le « Mobile Money » est le plus dynamique. En effet, cette région a enregistré 456,3 milliards USD d’argent envoyé, reçu ou dépensé. La somme, en croissance annuelle de 27,5%, représente 66,12%

de la valeur financière globale des transactions par Mobile Money enregistré par GSMA qui s’élève à 690,1 milliards USD.
Le panorama de l’industrie du Mobile Money en Afrique en 2019, est présenté par la GSMA comme suit :
Face à la frénésie qui s’empare des OTMs avec les opportunités qu’offrent les services financiers sur le mobile, les banques quant à elles, continuent d’observer une très grande prudence devant cette tendance au développement et à la généralisation progressive desdits services. Elles les jugent encore complexes à adresser compte tenu des contraintes réglementaires qu’elles doivent scrupuleusement respecter et surtout difficile à rentabiliser à court et moyen terme.
Selon une étude réalisée par le cabinet McKinsey en 2018, le nombre d'Africains ayant un compte bancaire est passé de 170 millions, en 2012, à près de 300 millions, en 2017. Ils devraient être 450 millions, dans les cinq prochaines années. Les revenus du secteur à l'échelle continentale devraient, quant à eux, passer de 86 milliards de dollars en 2017 à 129 milliards, en 2022.
Cependant, de nombreuses Banques sur le continent, notamment celles à vocation
panafricaine (BGFI, UBA, Ecobank, etc.), ont perçu le caractère structurelle de cette
convergence sectorielle et s’attèlent à positionner de plus en plus, le mobile comme
le support par excellence des nouveaux métiers de la Banque, du moins sur le segment de l’offre de services aux Particuliers.
Cette convergence du secteur des télécommunications avec celui des Banques, a surtout fait émerger, devant la satisfaction des besoins des Ménages en tant agents économiques, deux paradigmes contemporain ; celui de la Bancarisation et celui la Financiarisation.
La Bancarisation s’appréhende comme la proportion de la population détentrice d’un compte bancaire, en vue de pouvoir réaliser des opérations économiques de manière extrêmement sécurisée et encadrée (déposer et retirer des espèces, acheter, emprunter, transférer de l’argent, etc.).
La financiarisation quant à elle, c’est la possibilité offerte à ces mêmes populations,
de réaliser pratiquement le même type d’opérations économiques (déposer et retirer
des espèces, acheter, emprunter, transférer de l’argent, etc.), sans être obligé de
détenir un compte bancaire mais avec en contrepartie, bien moins de sécurité et
d’encadrement que peuvent offrir des Banques.
La frontière entre la Bancarisation et la Financiarisation, peut donc se concevoir
autour de trois (3) principales particularités liées à chacun des secteurs d’activités :
des comptes – l’approche-métier – le modèle de distribution.

Si les comptes, l’approche-métier et le modèle de distribution ont longtemps
constitué des principaux symboles de la frontière entre les Banques et les OTMs,
aujourd’hui ces particularités propres à chacun d’eux constituent plus que jamais les
principaux axes de rapprochement voir de convergence entre le secteur de la
télécommunication et celui des Banques. Et, cette convergence se réalise de
manière inéluctable à partir du « mobile » pour déboucher sur deux types services :
le « mobile banking » et le « mobile money ». Le premier découlant d’une offre
bancaire encore prudente et hésitante et le second, promu activement par les OTMs
en vue de répondre efficacement à un nomadisme économique qui a finalement
gagné tous les secteurs d’activités grâce surtout au développement de l’internet et
de l’internet des objets (dont le mobile).
Tout comme il est vain d’opposer le « mobile banking » au « mobile money », il
semble tout aussi vain de chercher à opposer la Bancarisation et la Financiarisation.
Il convient plutôt de les considérer comme les principales modalités de réalisation
des transactions des agents économiques, en distinguant dorénavant des circuits de
transaction « Multimodaux » (lorsqu’un agent économique possède le choix des
modalités et du parcours-client qu’il peut utiliser, entre la bancarisation ou la
financiarisation pour réaliser une même transaction sans coûts supplémentaires ni
délais) ou « Intermodaux » (lorsqu’un agent économique n’a pas la possibilité de
choisir entre plusieurs modalités et qu’il doive à l’intérieur d’un même parcours-client,
composer successivement avec la bancarisation et la financiarisation). Ces modalités
pouvant être offertes via des équipements en présentiel (agences) et/ou à distance
(Téléphone basiques, Smartphones, Tablettes et Ordinateurs). L’arbitrage entre les
différents équipements d’accès aux services multimodaux ou intermodaux (agences
en dur, téléphones ou ordinateurs), pouvant s’organiser autour des impératifs de
sécurité et de valeur ajoutée !
Les enjeux de la convergence du secteur des télécommunications et celui des
banques, se résument finalement à la construction d’un cheminement cohérent,
depuis l’acteur sectoriel d’aujourd’hui (OTMs ou Banques) à l’acteur capable de
fournir demain des solutions multimodales ou intermodales au service des opérations
économiques quotidiennes (déposer et retirer des espèces, acheter, emprunter,
transférer de l’argent, etc.).
La transformation inédite et sans commune mesure que ce cheminement requiert,
exigera de chaque acteur (OTM ou Banque) une audace stratégique singulière,
capable de lui permettre de transcender ses propres frontières sectorielles pour
embrasser de nouveaux marchés et de nouvelles perspectives de croissance. Il
s’agit bien là d’une véritable « croisade stratégique », qui pourrait s’articuler autour
de « points de convergence » nés des synergies potentielles entre les Banques et
les OTMs. On peut distinguer à ce sujet, six (6) principaux points de convergence
« Banques-Télécoms », tels que présentés ci-dessous :

Ces six (6) points de convergence « Banques-Télécoms » laissent émerger dans
l’océan de la concurrence exacerbée au sein des différents secteurs, des ilots de
croissance qui font la jonction des deux secteurs.
Ces points de convergence cristallisent les principales manœuvres stratégiques du
moment, tant au niveau intrasectoriel (entre les OTMs eux-mêmes ou entre les
Banques elles-mêmes) qu’au niveau intersectoriel (entre les OTMs et les Banques).
Le bouleversement de la structure du chiffre d’affaires aussi bien chez les Banques
que chez les Opérateurs Télécoms, aiguise les appétits et alimente une toute
nouvelle course aux parts de marché…celle des transactions économiques
multimodales (bancarisation ou financiarisation pour un même parcours-client)
ou intermodales (bancarisation et financiarisation pour un même parcours-client).
Cette ambition stratégique visant à développer des « organisations multimodales ou
intermodales au service des transactions économiques », s’est affichée dès le début
des années 2010 en Afrique. Ainsi durant l’année fiscale 2010-2011, Safaricom a
généré 93 millions d’euros (61 milliards de FCFA) en s’alliant à Western Union pour
développer le système de transfert d’argent depuis les 80 000 points de collecte de
Western Union dans 45 pays.
Danny Zandamela, PDG de la banque sud-africaine First National Bank, soulignait la
croissance fulgurante de ses services de « mobile banking » en 2010 dans plusieurs
pays de l’Afrique australe : +473% au Swaziland, +376% en Zambie, +277% au
Botswana et +204% en Namibie.
Profitant de cette tendance, le 11 juin 2014, le géant mondial des cartes de crédit
Visa a racheté, la société de paiement par téléphone mobile sud-africaine Fundamo
pour 110 millions de dollars dans l’espoir de renforcer ses positions dans les pays où
l’accès à un compte bancaire est moins fréquent que la possession d’un téléphone
mobile.
Le Kényan Equity Bank décrochait en 2014, l’une des trois licences d’opérateur
mobile virtuel (MVNO) attribuées par les autorités. Le groupe optait pour que tous
ses produits soient distribués par l’intermédiaire des services bancaires mobiles
(projet Equity 3.0). La carte Equity 3.0 a permis d’acheter des biens sans contact, de
transférer de l’argent (1% de frais) vers toutes les banques et de contracter des prêts
automatisés (coûtant 1% à 2% par mois).
Depuis 2019, l’Opérateur de Téléphonie mobile « Orange » décrochait à son tour, un
agrément d’établissement de crédit pour la création d’ « Orange Bank Africa »
Société Anonyme (SA), détenue à 75% par le groupe Orange et à 25 par NSIA
(groupe de services financiers). Le 13 février 2020, l’opérateur a annoncé une
progression de son chiffre d’affaires de 8,8 %, en particulier grâce à une hausse des
services « mobile seul ».
On note bien que cette vague d’opérations intersectorielles (entre les OTMs et les
Banques) depuis le début des années 2010 ne vise qu’un seul et même but :« contourner les réglementations contraignantes de chacun des secteurs d’activité, en vue d’exploiter pleinement tout le potentiel d’affaires généré par les points de convergence Banques-Télécoms ».
En effet, si la réalité économique est bien celle de la convergence du secteur des télécommunications et de celui des Banques, les contraintes réglementaires tentent
encore de maintenir chaque acteur dans son compartiment. C’est notamment le cas des Banques Centrales et des Commissions Bancaires, qui assurent une surveillance assez rigoureuse de l’activité bancaire et communiquent ainsi aux établissements de crédit, une « culture prudentielle » très forte, fondée sur une aversion pour le risque.
Ainsi, à partir d’une régulation de type « ex-ante » du secteur bancaire, des normes
de gestion sont produites et leur respect fait l’objet d’une surveillance assez stricte,
au risque même pour les Banques irrespectueuses des ratios prescrits, de se voir
retirer leur agrément.
Par contre, les OTMs opèrent dans des secteurs caractérisés par une régulation de
type « ex-post » ou encore une régulation dite de « droit commun », qui favorise la
prise d’initiative, l’innovation technologique et la course à la rentabilité dopée par une
propension considérable pour le risque.
On note donc les profondes différences entre deux secteurs d’activités (secteur
bancaire et secteur des télécoms), avec deux modèles de régulation (ex-ante et ex-
post), deux profils de risque-métier (risque averse et goût pour le risque) et cependant, deux types d’acteurs (Banques et OMTs) dont les activités et les services convergent de plus en plus sous la forte pression des besoins d’agents économiques en quête de solutions multimodales ou intermodales pour réaliser leurs transactions quotidiennes.
C’est un défi majeur que pose cette convergence « Banques-Télécoms », aussi bien
sur le plan réglementaire, technologique que financier et surtout en termes
d’ingénierie des processus-métier et d’organisation du travail. Dans cette perspective, les six (6) points de convergence « Banques-Télécoms » proposés ci- dessus, ont le mérite de pouvoir éclairer à la fois les Banques et les OTMs, sur les manœuvres stratégiques possibles ainsi que sur les éventuelles combinaisons de points de convergence susceptibles de faire émerger un cheminement singulier et optimal de création de valeur sous diverses contraintes (réglementation, sûreté et sécurité, intensité capitalistique, qualité de la main d’œuvre, etc.).
La nécessaire redéfinition des DAS des Banques et des Opérateurs Télécoms
Stratégie de chaine de valeur et de développement de grappes/clusters de
convergence
Pour chaque type d’acteur, le cheminement singulier et optimal de transformation
stratégique peut comporter plusieurs phases :

La mise en œuvre du pilotage stratégique d’une Banque ou d’un MNO, par les points
de convergence « Banques-Télécoms », suggèrent les cinq (5) catégories de
manœuvres stratégiques évolutives ci-après :


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